Un barrage contre le pacifique
Edition Gallimard : collection Folio - 364 pages
Un superbe roman à lire absolument
Un vieux cheval à bout de fatigue qui n’avancera plus même sous les coups du fouet, des personnages saturés de désespoir et d’amertume, un bungalow entouré d’un désert d’eau et de sel. Voilà la première scène de « Barrage contre la pacifique » qui donne le ton à ce qui va suivre. Marguerite Duras s’est inspiré de son enfance et de son adolescence en Indochine pour écrire ce roman en grande partie autobiographique.
La famille de Marguerite Duras en Indochine (photo extraite de : Les lieux de Marguerite Duras)
L’histoire : Un couple d’instituteurs part pour l’Indochine, comme beaucoup ils veulent tenter l’aventure coloniale, ils rêvent d’une vie meilleure. Le destin va en décider autrement, leur
beau rêve va se transformer en cauchemar. L’instituteur meurt, sa femme va rester seule avec leurs deux
enfants « Suzanne et Joseph ».
A l’époque, les colonies sont un véritable paradis pour ceux qui ont réussi mais c’est l’enfer pour les autres, et cette mère avec ces deux enfants font parti « des autres » : les blancs qui n’ont pas réussi, et les asiatiques. Cette population est à la merci des colons qui les exploitent odieusement.
Pour parler de cette histoire coloniale teintée de misère et de folie, il vaut mieux écouter Marguerite Duras qui a répondu à ce sujet aux questions de Michèle Porte rapportées dans le livre : Les lieux de Marguerite Duras aux éditions de minuit.
Voici quelques extraits :
M. Duras : Au bout de vingt ans de fonctionnariat, de travail, elle (la mère) a acheté un lotissement au Cambodge vers Kampot.
M. Porte : Une concession ?
M. Duras : Ce que l’on appelle une concession, oui. Et on lui a donné, on a vu cette femme arriver seule, sans défenseur, complètement isolée et on lui a collé une terre incultivable. Elle ignorait complètement, qu’il fallait soudoyer les agents du cadastre pour avoir une terre cultivable. On lui a donné une terre, ce n’était pas une terre, c’était une terre envahie par l’eau pendant six mois de l’année. Et elle a mis là-dedans vingt ans d’économie. Elle a fait construire ce bungalow, elle a semé, elle a repiqué le riz, au bout de trois mois le Pacifique est monté et on a été ruinés. Et elle a failli mourir, elle a déraillé à ce moment-là, elle a fait des crises épileptiformes. Elle a perdu la raison.
(…) Elle s’est révoltée mais la concussion était terrible à ce moment-là et on s’est aperçu que tous les agents, depuis les agents du cadastre jusqu’à l’administrateur général de la colonie, tout le monde touchait de l’argent. C'est-à-dire que les pots de vins étaient répartis sur toute la hiérarchie des fonctionnaires, dont les plaintes tombaient à l’eau, elles finissaient dans les tiroirs. Et elle est morte sans avoir gagné - oui l’injustice a été accomplie totalement.
Marguerite Duras a fait de son histoire, un roman magnifique, qui a failli obtenir le prix Goncourt, mais elle recevra
ce prix quelques trente ans plus tard pour son livre « l’amant ».
La mère de Marguerite Duras
(photo extrait de : Les lieux de Marguerite Duras)
Marguerite Duras
(Photo d'Hélène Bamberger extrait du coffret "Marguerite Duras à Trouville")