Lettre à Zohra D.
Edition Flammarion : 102 pages / 2012
Il y a des livres dont on se souvient toute sa vie, parce qu'ils sont porteurs d'une émotion particulière, parce qu'ils témoignent d'un fait réel inacceptable qui nous concerne tous. Ces livres marquent à jamais notre conscience. Ils sont là pour nous rappeler la violence des hommes.
Lettre à Zohra D. fait partie des livres que je n'oublierais jamais, comme le journal d'Anne Franck. Ces deux livres donnent la parole aux victimes innocentes de la guerre : les enfants.
Zohra Drif est la terroriste algérienne qui a posé une bombe à Alger dans le Milk bar le 30 septembre 1956. Danielle Michel-Chich alors âgée de 5 ans est dans ce bar en compagnie de sa grand-mère pour y déguster une glace. La bombe explose et la vie de cette petite fille ne sera plus jamais la même. L'enfant perd sa jambe gauche et sa grand-mère.
Danielle maintenant âgée de 60 ans décide d'écrire à Zohra une longue lettre.
Pour moi, la route a été longue, parfois tortueuse, en tout cas intense. Pour courir sans tomber, sans se cogner la tête, il vaut mieux éviter de regarder en arrière et aller de l'avant. Ce que j'ai toujours fait. Aujourd'hui, j'ai décidé de raconter ce j'ai fait de ce que vous m'avez fait.
Vous êtes madame la destinataire de cette lettre. (Extrait de la page 12).
Cette lettre est une véritable leçon de vie parce que Danielle Michel-Chich n'a jamais voulu se considérer comme une victime et a appris à vivre avec une prothèse pour remplacer sa jambe gauche, sans se plaindre.
Danielle Michel-Chich explique qu'elle a été triplement victime : elle a perdu sa grand-mère et sa jambe et ses parents vivent difficilement cette épreuve, elle fait en sorte de ne pas leur infliger de douleur supplémentaire en se plaignant.
Cette lettre s'adresse à Zohra Drif sans jamais l'accuser. Cette femme avait des raisons de ne pas être d'accord avec la politique en place et l'occupation de son pays par les français. Danièle Michel-Chif raconte à cette femme comment cette bombe a transformé sa vie et sa lutte quotidienne pour mener malgré tout une vie normale. Elle raconte avec beaucoup d'humour la difficulté de grandir comme les autres enfants de son âge, avec ce corps déséquilibré qui lui occasionne de nombreuses chutes et des factures multiples. Accepter d'avoir un corps différent c'est aussi être différente par l'habillement. A son époque, toutes les filles sont en jupe, elle est la seule à porter des pantalons pour cacher sa prothèse. Elle explique la difficulté de grandir sous le regard apitoyé de son entourage. Cette jambe manquante est en permanence présente pour lui rappeler cette horrible journée et la mort de sa grand-mère, ce qui l'amène à penser systématiquement à Zohra Drif.
Une lettre poignante, qui permet de voir à quel point Danièle Michel-Chif a réfléchi, travaillé sur elle, sur ses émotions, son ressenti, pour nous transmettre une réflexion aussi fine et intelligente de cette douloureuse expérience. Cette lettre est un plaidoyer pour la paix et la non-violence. On sort grandi de cette lecture. Cette lettre suffit à expliquer la folie des hommes. Ce livre devrait être lu et étudié dans tous les collèges et lycées au même titre que "le journal d'Anne Franck".
Je remercie Christian Sauvage et les Editions Flammarion pour l'envoi de ce livre. Je félicite Danièle Michel-Chif pour avoir eu le courage de publier cette lettre, car nous dit-elle, ce fut une véritable épreuve de l'écrire.
Dans les années 1950 et 1960 les pantalons étaient réservés aux garçons. Les petites filles étaient en robe, ce qui les obligeait à se tenir comme des petites filles. Cette tenue me mettait dans une case unique, celle de la fille pas comme les autres qu'il fallait traiter comme les autres. (extrait de la page 32)