Karitas sans titre
Kristin Marja Baldursdottir - Edition Gaïa : 2008 / 508 pages
Traduit de l'Islandais par Henry Kiljan Albansson
La création c'est vivre hors du quotidien, mais c'est aussi une forme d'enfermement. C'est la rupture avec une certaine réalité. "Alain Vircondelet"
"Karitas sans titre" est un roman qui aborde avec beaucoup de précision l'univers des artistes.
L'auteur décortique très finement cette difficulté de vivre la banale vie quotidienne face à la puissance de la création.
Au siècle dernier, la vie des femmes islandaises était rythmée par les grossesses et les travaux domestiques. Dans la famille de Karitas, ils sont six enfants. Le père est mort en mer et la mère travaille sans compter pour donner une éducation à ses enfants. Karitas a un don remarquable pour le dessin. Une femme de la haute société islandaise repère cette faculté et propose à la mère de Karitas de financer les études de sa fille à l'académie royale des beaux-arts de Copenhague. Cet enseignement va marquer une différence avec l'éducation des filles de sa condition qui suivent des études quand elles le peuvent dans des écoles ménagères ou pour devenir sage-femme.
Karitas sort diplômée de cette école, et commence à penser à sa future carrière d'artiste. Elle rêve de créations artistiques, de voyages et d'expositions dans le monde entier. La jeune artiste est prête à vivre toutes les expériences qui vont servir son art. C'est ainsi qu'elle va commencer à exercer ses talents de peintre sur un jeune homme qui accepte de poser pour elle. C'est son premier modèle, l'Académie des beaux-arts interdisant aux femmes de dessiner des hommes nus. Karitas découvre en même temps que sa première expérience de peintre, l'éveil du désir sensuel et vit sa première aventure amoureuse avec son modèle.
A cette époque, une expérience amoureuse hors mariage était risquée et Karitas découvre avec effroi qu'elle est enceinte.
L'avenir de la jeune artiste s'obscurcit. Elle attend un enfant et doit se plier aux règles de sa nouvelle condition de mère. Vie de couple, naissances répétées, travaux ménagers vont devenir le quotidien de la jeune femme. Karitas va passer son temps à réfléchir, à combiner d’éventuelles possibilités de vivre sa passion pour la peinture et sa vie quotidienne. Sa différence avec les autres femmes de son village va s’accentuer. Elle a besoin de solitude pour créer, pour faire évoluer en elle les images qui vont devenir ses futures œuvres. Le folklore islandais est peuplée d'elfes, de trolls qui règnent au même titre que les hommes sur cette terre. Karitas vit proche d'une grande montagne noire que l'on appelle la citadelle des elfes. Elle les voit certains soirs envahir sa maison, le cri des corbeaux annonce leur arrivée. Il y a aussi sa sœur morte qui vient l'aider et lui inspire des tableaux au style avant-gardiste. Quelle est cette étrange frontière que Karitas passe certains jours ? Le monde de la création ou celui de la folie ?
Un roman foisonnant de détails sur ce pays fascinant, l'Islande. On découvre les coutumes, les croyances, la vie des familles islandaises modestes au siècle dernier et la personnalité fascinante de Karitas, cette jeune femme en avance sur son époque, qui lutte pour faire admettre à son entourage qu'elle est une artiste et revendique une autre manière de vivre sa vie de femme.
Le style de ce roman est original, l'histoire est ponctuée du journal écrit ou imaginé de Karitas. Ces pages décrivent des images de moments vécus, de futurs tableaux en devenir. Peut-être un moyen pour Karitas de peindre mentalement ?
Je vous conseille de lire l'article d'Anis qui aborde d'autres points de ce roman et qui
m'a fait découvrir ce magnifique livre.
Il y avait très peu d'artistes féminines à l'époque où se passe ce roman, mais il y a eu une très grande artiste finlandaise née en 1862 : Helene Schjerfbeck.
On peut découvrir cette artiste sur le site de Wikipedia
Exemples des très beaux portraits de l'artiste Helene Schjerfbeck.