Toute une histoire
Toute une Histoire
Hanan El-Cheikh
récit traduit de l'arabe (Liban) par Stépahanie Dujols
Actes Sud 2010 / 330 pages
Hanan, El-Cheikh est une écrivaine libanaise qui a déjà écrit plusieurs livres avant de publier « toute une histoire » qui est le récit de la vie de Kamleh, sa mère analphabète.
Hanan El-Cheikh a cédé à la pression de sa mère qui lui reprochait de ne pas écrire sur les femmes de sa condition.
(…) « Pourquoi tu ne t'intéresses pas plutôt à celles que l'on traite comme si elles n'étaient pas au rang de l'humanité parce qu'elles ont eu le malheur de naître fille ? Tu n'as pas besoin d'aller chercher bien loin : tu en as une là, devant toi ! Qu'est-ce que tu attend pour m'interviewer ? Je te raconterais comment mon père m'a vendue pour dix pièces d'or, comment on m'a forcée à épouser ton père à quatorze ans et comment on m'a fiancée à onze... » (Extrait de la page 20 )
La petite Kamleh est née en 1925 au sud du Liban dans une famille Shiite. Elle va découvrir l'injustice d'être une fille auprès de sa mère qui fut répudiée par son mari. Au Liban, à cette époque, les femmes n'ont pas d'existence sociale sans un mari et des enfants. Condamnée comme sa mère et trop pauvre pour aller à l'école, Kamleh va devoir faire les travaux les plus durs tel « un âne de somme » comme elle disait. L'année de ses quatorze ans, le pire des cauchemars arrive dans la vie de l'enfant. A son insu, Kamleh a été fiancée à onze ans. Son père l'a vendue à son oncle pour quelques pièces d'or. Malgré son opposition, ses pleurs, ses stratagèmes, Kamleh ne pourra pas s'opposer à la décision de sa famille.
Comment peut-on grandir, évoluer, quand on n'a reçu aucune instruction, que l'on subit un viol officialisé par le mariage à l'âge de quatorze ans, et que l'on devient une mère-enfant à quinze ans ?
Kamleh a une forte personnalité et un caractère très enjoué ce qui lui ont permis de lutter et de refuser de vivre selon les codes de la société libanaise de l'époque. Elle n'arrive pas à tenir le rôle qu'on lui impose. On l'a dit frivole et paresseuse parce que les travaux réservés aux femmes l'ennuient. Dès qu'elle le peut et malgré les remarques voir les menaces de sa famille, Kamleh se rend au cinéma qui va être une véritable ouverture sur le monde et une échappatoire à son quotidien, à son ennui. Les films vont éveiller son imaginaire. Elle qui n'a pas la possibilité de lire, d'étudier alors qu'elle a une soif d'apprendre et de vivre des expériences, le cinéma va lui permettre de réfléchir à sa vie et d'envisager une autre existence.
Kamleh va aussi vouloir vivre librement son histoire d'amour avec l'homme qu'elle aime. Pour cela, elle va transgresser les lois de son pays en répudiant son mari ! Le divorce prononcé, Kamleh va pouvoir vivre enfin avec l'homme qu'elle aime, qu'elle a choisi. Mais l'amour et les enfants qui naîtront de cette union ne suffiront pas à rendre Kamleh heureuse. Son rôle de femme au foyer l'ennuie toujours autant. Son mari va lui faire les mêmes reproches que son ex-mari. Son analphabétisme est un handicap, une prison qui l'empêche de vivre d'une façon pleine et épanouie, d'être complètement affranchie du dictat des hommes.
Comment choisir sa vie dans un pays où les femmes sont condamnées à une seule et unique existence « le mariage et les enfants » ? Où les hommes décident pour les femmes, les surveillent, les corrigent, les enferment sous un voile et dans leurs maisons ?
La vie de Kamleh soumise à la loi des hommes : c'était au siècle dernier. Malheureusement, c'est encore trop souvent celle menée par beaucoup de femmes dans certains
pays.
J'ai vraiment adoré ce livre, c'est un énorme coup de cœur. J'ai apprécié l'écriture et le style de Hanan El-Cheick qui nous livre le récit de la vie de sa mère sans misérabilisme aucun. Kamleh était une femme vive, intelligente avec beaucoup d'humour ce qui rend cette histoire truculente et très plaisante à lire, malgré la gravité des thèmes abordés.